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À l’aube de 2007, année des 18 ans d’Élianne, la vie est belle. Elle étudie en bio-écologie et se dirige en biologie marine. Elle est athlète en vélo de montagne, a un amoureux et part pour le Mali visiter son frère et sa famille... Élianne est heureuse. Jusqu’à la journée fatidique où sa vie bascule.

Les textes de cette chronique proviennent d'extraits de courriels envoyés à la famille par Jocelyne, sa maman. L’histoire d’Élianne m’a bouleversée et je voulais vous donner la chance de la lire. Pour vous faire connaître un peu Élianne, nous avons débuté cette chronique dans le numéro de mai 2017 par son voyage au Mali avec Jocelyne. Nous vous recommandons cette lecture préalable. MISE EN GARDE : certaines images et textes peuvent heurter la sensibilité des personnes non averties.

Sœur Parent

21 juin 2007

 

Je sais que plusieurs d’entre vous commencez votre journée par la lecture des nouvelles d’Élianne et je me fais un devoir d'être tôt au rendez-vous. De toute façon, c'est mon heure : aux aurores.

 

Hier, vous l'avez peut-être un peu senti, j'ai eu un moment de découragement, je la sentais tellement mal. Mon amie Marie est venue me voir le matin et m'a bien fait réaliser qu’Élianne est probablement plus consciente et vraiment, comment peut-on être bien dans un corps comme cela, avec sûrement de la douleur, un corps qui n'a pas bougé depuis un mois, les tuyaux, etc.? Genre lendemain d'une très, très grosse brosse! J'étais aussi très déçue de ne pas avoir retrouvé le contact vécu jeudi et vendredi dernier avec elle, elle semblait très absente, plutôt « confuse ».

 

Ma rencontre avec le Dʳ Albert m'a confirmé les propos de Marie, de plus, il est très clair pour lui qu'elle est en sevrage : comme une vraie droguée, elle doit cuver les calmants reçus, dont un est l'équivalent de la morphine et elle le reçoit depuis un mois maintenant. Cela explique ses tremblements et ses vomissements, la hausse de sa pulsation cardiaque et de sa tension artérielle. Pour pallier temporairement cela, il a prescrit d'autres calmants, mais ceux-ci s'éliminent plus vite : Propofol et Ativan. Il attend qu'elle n'ait plus rien pour repasser un autre EEG (électroencéphalogramme, pour mesurer l'activité électrique du cerveau).

 

Le docteur m'a dit que beaucoup de choses s'améliorent, elle n'a plus de No (gaz) et hier elle a été plusieurs heures en ventilation spontanée sur son respirateur, ce qui veut dire que c'est elle qui amorçait le mouvement de la machine pour qu'elle lui donne de l'air.

 

Côté cerveau, contrairement aux rumeurs qui courent, elle n'est pas sortie véritablement du coma. Elle a eu deux périodes avec un certain éveil, c'est tout, et c'est aussi beaucoup et fort apprécié. Le Dʳ Albert m'a reconfirmé que l'on ne sait rien sur l'état de son cerveau, comment elle sera, ce qu'elle pourra ou non faire, etc. Pour l'instant, il y a peu de changement dans ses signes neurologiques.

 

C'est à suivre et c'est pourquoi il ne faut pas lâcher et continuer à l'encourager. Chose certaine, la réadaptation sera longue, probablement pénible et nous aurons sans doute bien besoin de vous tous.

 

Sur ce, je vous laisse avant qu'il n’y ait la queue pour la douche, c'est bien occupé ces jours-ci chez les petites sœurs!!!

 

22 juin

 

« Sœur Parent », c'est ainsi que m'a appelé, par erreur bien sûr, la réceptionniste hier. Ça y est : je me fais nonne!

 

En effet, je mène une vraie vie de sœur, bien rangée, bien réglée. Je n'ai aucune tâche ménagère à faire à part mon petit lavage de sous-vêtements dans le lavabo (comme en voyage, mais je me passerais bien de celui-ci), et ma « brassée » de trois blouses et une jupe à la buanderie que je fais sécher sur des supports dans ma chambre. Je suis nourrie, soit par les sœurs, soit par Steve du Café Honey et parfois par la cafétéria de l'hôpital. Mon lit est changé à l'occasion, mes serviettes aussi. Mes journées sont réglées par l'horloge, le peu de temps que je passe ici chez les religieuses est occupé à entretenir ma personne, me reposer, dormir, lire un peu, vous écrire, faire ma comptabilité. Alors peut-être bien que je deviens « Sœur Parent ».

 

Hier, Élianne a refait quelques mouvements à la demande de Julie, son infirmière. Julie est vraiment fine, elle aime aussi beaucoup Élianne et était bien contente de ce qu'elle avait réussi à lui faire faire : bouger des doigts et des orteils à sa demande. Naturellement, après elle était épuisée, elle a essayé encore, mais sans succès. Cependant, on l'a très bien vu « enligner » sa main droite avec ses yeux pour amorcer un mouvement qu'elle n'a finalement pas pu faire faute de force. Elle a aussi bougé trois fois sa jambe gauche dans ma main pendant que je lui massais le pied. À la demande des médecins, je lui ai demandé deux fois de fermer ses yeux, ce qu'elle a fait, avec difficulté, car ses paupières semblent très, très lourdes, mais de façon franche et évidente selon Dʳ Bernard et Dʳ Albert qui étaient tous les deux présents. Elle est encore pas mal assommée par ses médicaments qui s'éliminent tranquillement.

 

Julie me recommande de la rassurer souvent, car elle cherche aussi beaucoup avec ses yeux à voir son corps au complet, elle baisse le regard et semble vouloir regarder jusqu'à ses pieds. On sent parfois la panique dans son regard alors il faut lui dire que tout devrait bien aller, qu'elle pourra bouger plus en temps et lieu, qu'elle devra être patiente, très, très patiente! On la sent de plus en plus là, avec de grandes périodes de sommeil profond.

 

Aujourd'hui au programme : trachéo en salle d'opération. Ce sera une nouvelle étape pour Élianne, elle n'aura plus son tuyau de respirateur dans la bouche. Depuis hier matin, elle est revenue en ventilation spontanée, donc elle donne elle-même le rythme à sa machine pour respirer et cela semble bien aller.

 

23 juin

 

Je ne crois pas qu'Élianne envisageait de fêter la Saint-Jean ici! Il n'y aura pas de compétition au Mont Sainte-Anne pour elle cette année, sa compétition est ici, sur ce lit du 599. Quelle tristesse quand je pense à cela.

 

Élianne a eu sa trachéo comme prévu hier, tout s'est bien passé et la première chose que les infirmières ont dit lors de son retour à la chambre : « Est-tu belle!!! ». C'est bon de la voir sans tube dans sa bouche, cela libère beaucoup son visage. Il ne reste que le tube de Levin pour la nourrir qui passe par une narine jusqu'à son estomac.

 

Tout le monde dit que la trachéo est souvent le début d'une nouvelle étape, que les choses bougent plus après. On verra. Hier, elle était bien concentrée sur son corps, dans ses moments « d'éveil ». Quand on la touchait, par exemple au pied ou au ventre, elle cherchait à voir cette partie de son corps, du moins ses yeux s'y dirigeaient. Elle regardait beaucoup le tube dans sa bouche (avant l'opération) avec un air mauvais, je crois que si elle avait pu bouger sa main, le tube aurait pris le bord assez vite merci!

 

Elle semble observer parfois ce qui se passe, comme quand l'inhalo aspirait les sécrétions de son tube de trachéo. Elle respire toujours en ventilation spontanée, donc elle commande le respirateur et ça va assez bien de ce côté.

 

24 juin

 

Que c'est dur pour un cœur de mère de voir son bébé ainsi. Hier, ils ont cessé complètement le Propofol, un des calmants qui lui restait et qui s'élimine très, très rapidement. Quelques instants plus tard, elle était plus éveillée, ouvrait ses yeux, regardait, on voyait qu'elle vivait beaucoup d'anxiété, son cœur battait à 118-120, sa TA (tension artérielle) était très élevée et sa respiration plus rapide. En plus, quand elle m'a vu (ou entendu) près d'elle, cela a accentué sa panique, comme si elle voulait me dire quelque chose, elle essayait très fort de bouger, je l'ai vu soulever son bras droit, elle ouvrait sa bouche comme pour hurler, son visage se contractait comme pour pleurer, ses yeux s'ouvraient et me disaient toute l'angoisse qui l'habite. Cela s'est passé trois fois durant la soirée.

 

Je ne crois pas que je vais aller chez moi aujourd'hui, peut-être ce soir, on verra. Elle a beaucoup besoin d'être rassurée, d'être calmée. Je la masse avec de la crème hydratante, je la fais bouger. Elle aime beaucoup être bougée, visiblement, car sa pulsation cardiaque ralentie et sa TA baisse quand on le fait. Cela doit la rassurer sur l'existence de son corps.

 

Je sais que tout cela, son éveil, sa panique, sont des signes positifs et encourageants, mais c'est très dur à vivre pour elle, de réaliser ce qui se passe, de se voir ainsi sur un lit, de ne pas comprendre, d'avoir peur de la suite sans doute, de se sentir « prise » dans son corps et pour moi c'est aussi très douloureux de la voir ainsi.

 

Je vous tiens au courant, envoyez-lui de bonnes énergies calmantes et « énergisantes »!

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